Construire des canots, réaliser des rêves
Pendant l’été 2019, la région de Temagami, dans le Nord-Est ontarien, a fait les manchettes. Cet endroit magnifique est reconnu pour ses majestueux pins blancs, ancêtres bien enracinés, qui veillent sur le territoire. Pendant des décennies, les Autochtones et les écologistes se sont regroupés autour de ces géants pour les protéger. Mais cet été-là, les regards n’étaient tournés ni vers les manifestations ni les barrages, mais plutôt vers les feux de forêt et la fumée qui envahissait le ciel, grise comme la fourrure d’un lapin.
Cependant, les incendies n’ont pas été les seuls à attirer l’attention sur la région de Temagami. La nouvelle Canoe House de Bear Island a aussi attiré les visiteurs venus d’ici et d’ailleurs.
La Canoe House est un espace public, d’abord rêvé puis conçu pour transmettre les connaissances sur le canot d’écorce de bouleau et sa construction, mais aussi pour transmettre les traditions et les connaissances autochtones d’une génération à l’autre. La maison offre diverses activités culturelles aux résidents ainsi qu’aux nombreux propriétaires de chalets et campeurs, plaisanciers et pagayeurs qui visitent le lac.
Ce projet s’est réalisé grâce aux efforts et au dévouement de la communauté de la Première Nation Bear Island de Temagami, en particulier grâce à la vision et au leadership de Robin Potts. Robin a grandi sur l’île et, adulte, est revenue chez elle pour redonner à sa communauté. Mère de deux enfants, adultes et pagayeurs d’expérience, elle connaît l’importance de transmettre les savoirs traditionnels aux futures générations.
Depuis l’été 2016, Bear Island a reçu bien des groupes de jeunes qui ont construit des canots en écorce de bouleau, sous les bons conseils de différents chefs et aînés, et leurs canots créent maintenant une superbe collection. La Canoe House est née du besoin de loger le nombre croissant d’embarcations construites dans l’île.
La rénovation du bâtiment a pour sa part commencé en octobre 2017 et s’est poursuivie jusqu’en avril 2018. L’été suivant, de nombreuses personnes ont visité l’endroit. Le bâtiment historique est devenu un lieu d’apprentissage culturel, dont le but est de préserver, de revitaliser et d’enseigner la culture anishinaabe.
Ce sont bien là les étapes de Vérité et Réconciliation. Sans elles, la réparation de ce qui a été brisé ne peut pas se produire. Le canot navigue entre des terres qui ont été transformées, prises, renommées et exploitées. Raviver les histoires ravive la vérité. L’histoire du canot d’écorce de bouleau semble au cœur de ces vérités.
En 2012, Robin a eu l’idée d’explorer les enseignements et l’histoire que pouvait apporter le canot à sa communauté. John Simser et Adam Wicks-Arshack avaient alors demandé s’ils pouvaient construire un canot en écorce de bouleau avec les jeunes de Bear Island. Cette expérience a donné un documentaire, The Power of the Canoe, qui met en vedette la construction sur trame environnementale.
Robin a observé l’incidence du projet sur les résidants de Bear Island, mais comme elle travaillait tout l’été au Camp Wabun, à proximité, elle ne pouvait pas être aussi impliquée qu’elle l’aurait souhaité. Éducatrice et étudiante à la maîtrise, Robin a naturellement considéré le projet comme un moyen de transférer les savoirs traditionnels au sein de sa communauté. «Je me suis dit : “nous sommes le peuple du canot”. Je pensais que la construction d’un canot d’écorce serait une bonne façon d’enseigner nos pratiques. Je savais que c’était un moyen de récupérer et de revitaliser les savoirs culturels, se souvient-elle. Il y en a encore qui se souviennent du temps où les canots étaient encore construits, ici. Nous avons perdu ces compétences il y a seulement une génération ou deux.»
Des bribes d’histoire
Situé sur le rivage de l’île, le bâtiment Canoe House a eu plusieurs vies. Au fil des ans, le bâtiment a été un magasin d’appâts, un marché et une pataterie. Maintenant, c’est un atelier accessible au public. J’ai demandé à Linda Mathias, résidente de Bear Island et aînée de la Première Nation de Temagami, ce dont elle se souvenait à propos de Canoe House, et voici ce qu’elle avait à dire :
«La Canoe House était connue de tout le monde autour du lac Temagami sous le nom de Boat House. Le Boat House, le poste de traite et l’entrepôt appartenaient à la Compagnie de la Baie d’Hudson, établie à Bear Island en 1876. Au Boat House, les amateurs de canot pouvaient s’équiper et les guides de la Première Nation de Bear Island étaient disponibles pour les accompagner. Quand j’étais enfant, j’entendais les aînés parler de leurs longs voyages en canot jusqu’à la baie James ou la baie d’Hudson. Bear Island était l’un des principaux arrêts sur le lac. C’est vraiment agréable de voir une partie de notre île reprendre vie d’une manière aussi bonne et respectueuse.»
Linda n’était pas la seule à être enthousiasmée par la Canoe House. La réponse des habitants et des centaines de pagayeurs et de propriétaires de chalets qui ont afflué pour visiter le nouvel espace a été extrêmement positive. Ma visite concordait avec la présence de Marcel Labelle, qui dirigeait la construction du canot. J’ai eu la chance de discuter avec quelques-uns des visiteurs de leur expérience. Les vibrations étaient positives pour tout le monde.
Kay Chirnook, qui passe ses hivers au Costa Rica, a eu la chance de visiter la maison avec ses collègues de l’Ojibway Lodge, au lac Temagami, entre deux orages : «Nous sommes arrivés à un atelier très achalandé quelques jours avant le lancement du canot en écorce de bouleau et son voyage inaugural sur la rivière Missinaibi. Nous étions fascinés. L’atelier sentait le bois frais et le canot brillait d’une nouvelle vie. Bien que la Canoe House n’ait pas encore été officiellement inaugurée, nous savions que nous ferions un voyage annuel sur le lac pour visiter ce nouveau projet de la communauté de Bear Island.»
Walter Ross, un homme de Toronto qui a depuis longtemps un chalet sur les rives du lac Temagami et qui se considère comme un ami de Bear Island, a fait ce partage : «Je ne me souviens pas d’une activité aussi positive à Bear Island que la Canoe House, cet été. Chaque fois que j’y allais, des canoteurs étaient en visite pour en apprendre davantage sur la fabrication du canot et se faire de nouveaux amis. Le jour du lancement, les paroles de Marcel, célébrant l’histoire du canot, ont été le meilleur discours de réconciliation que j’aie entendu.»
La fille de Walter, Sarah Ross, en provenance de Vancouver, a également été époustouflée par la Canoe House et a qualifié son expérience de chaleureuse et électrique. «Les gens travaillaient, concevaient, faisaient de la sérigraphie, planifiaient des activités, apprenaient et partageaient diverses compétences, tout en accueillant des visiteurs de tous horizons. Et sans oublier qu’ils construisaient un véritable canot, à partir de la terre et des compétences traditionnelles!»
Sarah, qui est venue visiter Bear Island toute sa vie et qui le fait maintenant avec son enfant, décrit l’incidence du bâtiment : «J’ai été frappée par la transformation du bâtiment en tant que tel. L’ancienne cabane délabrée au bord de l’eau est devenue une lueur, une vision, et maintenant la Canoe House : une réalité d’apprentissage, de fierté et de graines de guérison profonde. C’est vraiment une ligne de front — un endroit où les artistes, les détenteurs de connaissances et les gens ordinaires, aussi, aident à traduire, à calmer et à perturber nos idées du passé et du présent.»
Robin Potts a commencé le projet de construction de canots en écorce de bouleau pour les jeunes autochtones en 2016, non seulement pour développer la culture du canot, mais la tradition signifiait aussi travailler en étroite collaboration avec la terre et avec les uns et les autres. Elle a pensé à tout le positif qui découlerait d’un projet communautaire. Les gens pourraient aller et venir à leur guise, ils ne se sentiraient pas poussés. Elle savait également que la confection d’embarcations serait un moyen propice pour inclure tous ceux qui visitaient la région. Chacun est invité à participer à l’expérience d’apprentissage.
Le documentaire conte l’histoire et les expériences vécues par les jeunes participants. L’expression de leur compréhension culturelle et la maturité qu'ils ont gagnées pendant la construction témoignent de la valeur du projet. Après avoir regardé le documentaire, il ne fait aucun doute que le projet va bien au-delà de la fabrication d’un canot en écorce de bouleau. Le projet communautaire a permis à la communauté de retrouver nombre de richesses perdues, de grandir, de se renouveler et d’apprendre beaucoup.
La bande-annonce de Makwa Jiimaan : Deep Water, Deep Roots de War Pony Pictures sur Vimeo.
Bien plus que de la pagaie
Le canot d’écorce de bouleau devient un véhicule — et bien plus que pour les déplacements. Il fait revivre la langue, il réanime certains enseignements sur la récolte, sur le travail collaboratif, sur le développement du pays. Il offre une voix aux jeunes, et fournit une occasion de se connecter avec les ancêtres et le passé. Il apporte aussi de nouvelles compétences et une plus grande estime de soi.
Certaines des personnes engagées dans la construction ont réalisé de grandes choses. Par exemple, Aleria McKay, Miss Ontario 2019 : lors du lancement du canot, elle a expliqué comment le projet l’a aidée à devenir plus confiante et comment elle a maintenant trouvé la force de parler du suicide. Jessica Frappier, une autre jeune participante, a réalisé un court métrage sur ses ancêtres.
Demi Mathias, qui étudie le canot à la maîtrise, a fait partie de l’équipe qui a travaillé à la construction. «En tant qu’Anishinabe et jeune de la communauté, dit-elle, c’était formidable de voir le soutien dont profite l’endroit et pour les initiatives culturelles! Il y a tellement d’histoire au Canoe House, et le voir rénové et utilisé comme espace culturel profite à ma communauté.»
Robin Potts parle avec passion du projet de revitalisation du canot. En discutant avec n’importe qui à ce sujet, elle explique comment il nous relie à la terre, à l’eau ainsi qu’aux connaissances de l’histoire de son peuple et de celle de la traite des fourrures. «Il symbolise un moyen de faire avancer les conversations, afin que nous puissions reconnaître qui nous sommes et à quel point nous sommes formidables en tant que personnes. Nous sommes tellement embourbés par un traumatisme émotionnel et historique que cela nous empêche d’accepter qui nous sommes, et cela aura une incidence sur notre vision du monde. À l’avenir, si nous voulons sauver cette Terre, nous devons étudier les traditions autochtones. Nous parlons de projets plus locaux qui peuvent être portés à un échelon mondial, et la construction de canot peut en fait devenir un moyen d’avoir des conversations éducatives.»
Lorsque les gens travaillent ensemble, côte à côte, les conversations et le partage d’histoires se font tout naturellement. Le travail à la main et l’art de la confection construisent bien plus qu’un canot. Ça fait naître des souvenirs, ça crée un espace pour faire connaissance avec la personne qui travaille à côté, c’est la communauté qui rêve.
Ce nouvel appétit pour la construction de canots en écorce de bouleau est une avancée substantielle dans la culture autochtone — et tout comme l'embarcation glisse doucement sur l’eau et l’embrasse l’eau, le canot en écorce de bouleau avance doucement dans les rêves de beaucoup de gens.
Visiter Temagami
Si vous souhaitez pêcher ou partir à l'aventure, de très belles pourvoiries et de magnifiques resorts bordent le lac Temagami: Linda's Wigwams Bear Island, Thunder Pipe Lodge, Deepwater Lodge, Loon Lodge Resort, Ojibway Family Lodge. Vous pouvez trouver de plus amples détails sur le site des entreprises de la Première Nation Temagami.
Si vous voulez faire du canot ou voyager sur l'eau mais que vous n'êtes pas équipés, Temagami Outfitting Co. a tout ce qu'il vous faut pour que vous puissiez aller de l'avant!