L'histoire du millionnaire de Kirkland Lake
Avant d’entreprendre la recherche sur l’histoire minière du Nord-Est ontarien, je n’avais pas voyagé plus loin que Sudbury, au nord. Dans mon atlas routier, la route entre Ottawa et Kirkland Lake n’avait rien d’intimidant. J’ai judicieusement planifié mon séjour dans la courte période entre l’hiver et la saison des mouches. J’ai tracé mon trajet sur la carte en direction d’Iroquois Falls. De très grands lacs et des petites villes qui résonnent pour les amateurs d’histoire m’attendaient : Cobalt, Haileybury, Englehart, Swastika. Ma destination : Kirkland Lake, ville où l’on trouvait autrefois la mine la plus riche que le Canada ait connue.
Sur le coup, je n’ai pas mesuré l’échelle de ma carte. Première erreur! Passé North Bay, les proportions changent du tout au tout. Deuxième erreur : j’avais tenu pour acquis que je conduirais entre les flancs rocheux du Bouclier canadien au cœur d’une forêt dense. C’était effectivement le cas dans la région de Temagami, mais plus au nord, le paysage devient vallonné, avec des terres arables, des fermes et des silos, comme l’on connaît dans le Sud ontarien. Cette région, la Zone argileuse, a été au cœur de la ruée vers l’or de l’Ontario, au début du 20e siècle.
Les vieux de la vieille, dans le Nord, grincent des dents lorsqu’on vante le romantisme et l’excitation de la ruée vers l’or du Yukon, dans les années 1890. Des auteurs comme Jack London et Pierre Berton ont immortalisé le rush vers cette région canadienne subarctique — et combien éloignée. Mais il faut se rendre à l’évidence : en matière de productivité, le Yukon a été anecdotique, comparativement à la ruée vers l’or de l’Ontario qui a eu lieu quelques années plus tard. Les mines d’or des régions de Kirkland Lake, de Porcupine Lake, de Timmins et de Little Long Lac ont produit dix fois plus d’or que celles du Klondike et ont fait de Toronto un centre minier international.
La construction du Temiskaming & Northern Ontario Railway (le T&NO) a déclenché la ruée vers l’or. Le gouvernement provincial avait orienté la voie ferrée vers le nord dans l’espoir d’attirer des colons dans la Zone argileuse. Mais en arrachant les broussailles, les roches exposées laissaient entrevoir le reflet terne de métaux précieux. Ce ne sont donc pas les colons qui ont suivi les traces des ouvriers du rail, mais plutôt des prospecteurs aux chemises de flanelle et les promoteurs en soif d’argent — littéralement.
La première découverte de taille a eu lieu dans une clairière où les veines d’argent se trouvaient presque à la surface du sol. En 1905, 16 mines étaient en activité à Cobalt, un camp animé qui rassemblait des milliers de personnes. Entre 1904 et 1920, les mines de Cobalt étaient à l’origine de 90 % de la production argentifère du Canada.
Le chemin de fer s’est développé encore vers le Nord. À 366 kilomètres de North Bay, près du lac Porcupine, gisait une énorme veine d’or. À l’autre bout du continent, un Américain commençait à porter attention à ce qui se passait dans le Nord ontarien. Harry Oakes, un homme de 37 ans, avait déjà consacré 15 ans de sa vie à chercher de l’or autour du globe. Ce dur à cuire, entêté, au caractère impétueux et aux amitiés rares se dirigea vers le Nord, plus précisément au lac Kirkland que très peu d’arpenteurs avaient visité.
Comment Harry Oakes obtint-il sa concession, par un soir glacial de janvier 1912? Comment réussit-il à garder le contrôle de sa mine d’or, alors que tous les autres prospecteurs, à court de ressources pour développer leurs concessions, ont dû les vendre à des promoteurs et des compagnies minières? J’ai découvert que c’est devenu une légende, dans le Nord.
J’ai passé une belle semaine à Kirkland Lake à faire de la recherche. Le premier temps fort de ma semaine a été la visite de la mine Toburn, qui portait jadis le nom de Mine Tough-Oakes, la première mine en activité de la ville. Aujourd’hui, c’est le seul puits minier qu’il reste des six qui dominaient autrefois Kirkland Lake. Un guide aimable (propriétaire d’une concession) m’a expliqué la mécanique de l’extraction du minerai et m’a donné une carotte échantillon.
Le deuxième temps fort a été la visite de la magnifique résidence — le Château — que Harry Oakes construisit pour sa famille lorsque son puits de mine, Lake Shore, est entré en activité. Aujourd’hui, le Château est devenu un musée d’histoire, le Museum of Northern History. Sa gérante Kaitlyn McKay m’a fourni des documents fascinants sur l’histoire de la région et l’homme, un héros du Nord.
L’histoire de Harry Oakes aurait une fin plus heureuse si elle s’arrêtait là. Son nom est plutôt associé à une histoire dont l’envergure est tout autre : celle que l’auteur de romans policiers Erle Stanley Gardner a qualifiée de «procès du siècle». Indigné par les taux d’imposition du Canada, le multimillionnaire prit la poudre d’escampette en 1934 en direction de l’île de New Providence, dans les Bahamas. Un paradis… fiscal! Neuf ans plus tard, Harry Oakes fut sauvagement battu à mort à Nassau. Le principal suspect a été acquitté à cause de l’incompétence du corps policier. Le crime demeure non éclairci.
Vous pouvez lire l’histoire de Harry Oakes dans le livre de Charlotte Gray, paru en 2019 : Murdered Midas.