Les origines étonnantes de la ville de Kapuskasing
Comme bien des villes du Nord, Kapuskasing a grandi grâce à l’industrie forestière et aux pâtes et papiers. Sous ses allures industrielles, son histoire repose sur des fondations étonnantes. Voici cinq pistes pour voir des traces d’histoire locale, au lendemain du centenaire de la Ville, célébré en 2021.
1. La rivière
Mattawishkwia, Opasatika, Kapuskasing, Mattagami, Abitibi… Les noms des belles et grandes rivières du Nord ne laissent pas place à l’interprétation. Ce territoire est traditionnellement cri et ojibwé.
Sur leurs rives, peu de traces de présence autochtone restent. Il existe un cimetière accessible par la route sur les rives de la Missinaibi, juste à l’ouest de Mattice. Il y a aussi des vestiges de postes de traite, que seuls connaissent nos guides d’aventure.
Quelques documents d’archives révèlent que les Cris et les Ojibwés ont été des guides pour les colonisateurs.
Dans les rapports d’exploration pour évaluer le potentiel de colonisation du Nord, vers 1900, les représentants du gouvernement ont tenté de transcrire les noms cris de sites que les Kapuskois connaissent encore bien, aujourd’hui. Ces noms sont-ils transcrits maladroitement ou sont-ils justes? Il y a bien sûr Kapuskasing, qu’on prononce Ka-puss-kah-sing et qui signifie «courbe dans la rivière». Il y a aussi le portage «O Ke-Kesboitkik» (White Spruce Rapids ou Spruce Falls), les rapides «Minde-moi-ye» (Old Woman Rapid) et «Me-som ko boitek» (Big Beaver Falls). On pourrait continuer!
Ce rapport a surtout servi à démontrer que le Nord est propice à l’exploitation des richesses naturelles. Il a mené au Traité no 9 signé en 1905-1906, qui comprend la rivière Kapuskasing. Pour les peuples cri et ojibwé, ce Traité visait à protéger le territoire et ses ressources. Pour le gouvernement, c’était à les partager. C’est ainsi que le bois des forêts s’est retrouvé dans la rivière.
D’où observer la rivière Kapuskasing : du parc Riverside, aménagé dès 1920 par la compagnie Spruce Falls (on y reviendra)! Il est situé à l’est de la courbe qui fait faire 90 degrés à la rivière. Les sentiers Rotary longent aussi la rivière.
On s’en voudrait de ne pas le mentionner : Kapuskasing, Saganash, Opasatika, Mattagami, ce sont aussi les noms des fromages fins de la Fromagerie kapuskoise.
2. L’usine Spruce Falls
L’arrivée de Kimberly Clark en 1918 confirme le développement de la ville. La société américaine achète alors une limite de bois et entreprend la construction d’une usine. Elle signe une entente avec la Province, qui veut s’assurer que Kapuskasing ne sera pas une ville de compagnie.
Elle en deviendra une : après l’usine, Spruce Falls construit l’hôpital, le centre récréatif, un hôtel, toutes les maisons de la ville ou presque et les louera à ses employés. D’ailleurs, avec tous les dons qu’elle verse, Spruce Falls se fait surnommer «Oncle Spruce».
N’empêche, Kapuskasing s’enorgueillit d’avoir été le lieu de production du papier du New York Times pendant plusieurs décennies. Le quotidien a joint Kimberly Clark dans son complexe industriel de Kapuskasing en 1926, forçant un agrandissement de l’usine et la construction d’un plus gros barrage hydroélectrique. En 1969 seulement, l’usine kapuskoise a fourni environ la moitié du papier nécessaire à la production du grand quotidien, ce qui représente la récolte d’environ 3 075 000 arbres.
D’où observer l’usine Spruce Falls : D’où vous voulez! À Kapuskasing, tout mène au moulin! C’est moins vrai aujourd’hui, mais l’Oncle Spruce a longtemps été le cœur de la collectivité.
3. La ferme, ou le Camp Kapuskasing
La ferme qui se dresse sur le bord de la rivière Kapuskasing a plus de 100 ans. En 1914, le ministère de l’Agriculture l’établit.
Mais avant de devenir une ferme modèle du Dominion, elle sera le Camp Kapuskasing : un camp d’internement pour les ressortissants étrangers, devenu l’un des plus gros camps de prisonniers de guerre au pays. En tout, 1200 détenus défrichent les terres sous la surveillance de 300 militaires.
«Outside of the North Pole, no safer place could be chosen for an internment camp», écrit un journaliste du Windsor Evening Record en juillet 1915, lorsque s’arrête le train dans lequel voyagent une vingtaine de journalistes en tournée d’Ottawa à Winnipeg. (Ça veut dire : «Outre le Pôle Nord, il n’y a pas de lieu plus sûr pour un camp d’internement.»)
Les derniers prisonniers quittent Camp Kapuskasing le 23 octobre 1920 et le camp ferme en décembre. Mais la ferme fédérale de recherche reste jusqu’en 2012-2013. On y crée de grands potagers, on élève du bétail, on cultive du chanvre. Elle est aujourd’hui privée.
D’où observer la ferme : La ferme se trouve du côté ouest de la rivière, de l’autre côté du moulin. Il faut vérifier s’il est encore possible de se promener sur le site. Par ailleurs, il est possible de stationner au bord de la route, à 1,2 km à l’est de l’aéroport, de traverser le rail et de visiter le cimetière aménagé par les détenus en 1918. Une trentaine de personnes y reposent encore. Une statue et une plaque ont été installées à leur mémoire en 1995, et le monument érigé par les prisonniers a été restauré en 2010.
4. LE CHEMIN DE FER TRANSCONTINENTAL
1915. Une vingtaine de journalistes du Québec et de l’Ontario font un voyage en train sur le nouveau chemin de fer Transcontinental, qui joint la vallée du Saint-Laurent à l’Ouest canadien. Dans le Nord de l’Ontario, ils voient les nouvelles terres agricoles du Temiskaming et la grande forêt qui couvre la province d’est en ouest.
Ils sont impressionnés par la vitesse qu’atteint le train grâce à la ligne droite du rail et au terrain plat sur lequel il repose. Quelques années plus tôt, les arpenteurs qui cherchaient à établir le tracé du chemin de fer Temiskaming and Northern Ontario Railway avaient été enchantés, encore plus en voyant les chutes sur la rivière Kapuskasing, qui pourrait produire de l’énergie. Voilà donc que la voie ferrée se fraie un chemin à travers la forêt boréale et atteint en 1910-1911 Kapuskasing, qui devient alors Mac Pherson.
Autour de la gare, le calme règne quelques années. Des aventuriers débarquent parfois pour remonter la Kapuskasing jusqu’à la baie James, accompagnés de guides locaux. Ensuite, la ferme et le camp ouvrent, puis l’usine.
Aujourd’hui, la voie ferrée n’est presque plus utilisée — il n’y a plus de train de passagers depuis le début des années 2000 et, parfois, quelques convois lourds de bois tentent d’avancer péniblement sur les lames de métal.
D’où observer le chemin de fer : Tout le long de la route 11, sur des dizaines, voire des centaines de kilomètres. À Kapuskasing, on peut s’y attarder près du moulin. Il y a d’ailleurs le musée local, dans l’ancienne gare et un parc avec des BBQ pour le charbon de bois. C’est le prolongement du parc Riverside et, l’hiver, un sentier de motoneige!
5. Le Cercle
Kapuskasing serait l’une des premières villes planifiées par un gouvernement provincial, au Canada. Il y avait déjà eu beaucoup de villes planifiées, c’est sur, mais souvent à l’initiative d’une compagnie.
Le premier ministre Ernest Charles Drury souhaite éviter deux choses : que les compagnies dominent les villes et que de nouvelles villes champignons laides et polluées se forment. C’est pour cette raison qu’on surnomme Kapuskasing la «Ville Modèle du Nord».
Parmi les mesures, il y aura un plan suivant les principes d’aménagement urbain Garden City. Il s’agit d’aménagements avec des espaces verts autour et à l’intérieur de la ville, des édifices publics regroupés et des rues courbées. Les aires industrielles sont en retrait. Il y aurait un but de conservation de l’environnement, mais surtout de promotion d’un mode de vie sain. Les villes-jardins, déjà populaires en Europe, apparaissent lentement au Canada, comme à Témiscaming et éventuellement à Iroquois Falls et à Arvida.
À Kapuskasing, tout part du Cercle, ou presque. Là, il y a les commerces et de là, on rejoint les édifices publics (comme feu l’hôtel, l’ancien hôpital et les bureaux municipaux), le moulin et les zones résidentielles. Il y a aussi le parc, qu’un paysagiste a veillé à aménager. Dans les serres de l’usine, il cultivait 57 variétés de fleurs — des pétunias, des soucis, des dahlias, des tulipes, des pavots russes — et d’arbustes, tout ça pour le parc.
D’où observer la ville-jardin : Le Cercle est certainement un bon endroit pour observer l’aménagement urbain, mais le parc est aussi bien choisi. D’ailleurs, devant le centre civique, une plaque de la Fiducie du patrimoine ontarien a été installée en 2016.