Regard autochtone sur Sault-Sainte-Marie et Algoma

Admirez le magnifique territoire de Sault-Sainte-Marie et son histoire humaine millénaire!

Je m’appelle Spencer Rice. Je suis un Kanien’kehá:ka de Kahnawá:ke. Je suis du peuple des silex, membre de la Confédération de Haudenosaunis. Malheureusement, à cause de circonstances liées à la colonisation, je n’ai jamais connu mon propre peuple. J’ai plutôt grandi entouré de Chippewas, de Dénés, d’Anishinaabes, de Cris et aussi de colonisateurs.

On m’a dit que pour savoir où je vais, je dois savoir d’où je viens. Ces paroles de sagesse orientent tout mon travail et toute ma recherche.

Des pêcheurs ojibwes dans la rivière Sainte-Marie en 1901 (US Library of Congress/Wikimedia Commons)

J’ai le privilège de vivre depuis plus de dix ans à Sault-Sainte-Marie. La région est traditionnellement connue sous le nom de Baawaating (là où il y a des rapides) et les Anishinaabe habitent ici depuis des temps immémoriaux. On m’a dit que les Anishinaabe de la région d’Algoma sont membres de la Confédération des Trois feux. Selon les manuscrits de la Société de la grande médecine Midewiwin, la Confédération des Trois feux remonte à l’an 796, à Michilimackinac. Toutefois, il est impératif de se souvenir que les Anishinaabe ont été placés ici au moment de la Création et que leurs terres ancestrales s’étendent entre Bawaating et Pukaskwa. Les Anishinaabe sont les grands frères et «pharmaciens» de la confédération, que les Odawa et Potawatomi ont rejoints. Ils se sont établis au nord et au nord-ouest de Michilimackinac, le long du lac Supérieur, de la rivière Sainte-Marie et du lac Huron.

L’île Bathtub, au nord de Sault-Sainte-Marie (Photo : Sheri Minardi)

Le terrain demande du respect; la terre est atemporelle. Dans la région, on s’éveille et on comprend ce que c’est que de vivre en harmonie.

La beauté d’Algoma est à couper le souffle. J’aime particulièrement conduire de Baawaating à Thunder Bay. Les escarpements austères et les côtes rappellent l’ancienne présence de montagnes. Des rives cèdent à des eaux sans fin. Certains seront convaincus qu’ils se trouvent devant un océan. En fait, le lac Supérieur est le plus grand lac d’eau douce au monde, et la côte nord héberge des pierres qui comptent parmi les plus anciennes.

Les possibilités d’explorer le paysage sont presque infinies. La rivière Chippewa, qui se déverse dans le lac Supérieur, se prête vraiment bien au kayak. Parmi les arrêts qui s’imposent, on compte les pictogrammes d’Agawa, un des lieux iconiques de la région. Les pictogrammes ont été produits à différentes périodes et présentent la vie humaine et l’esprit de l’eau.

Côtes du Supérieur

L’endroit me rappelle constamment que je partage la terre avec le reste de la Création. La frontière entre la vie humaine et toute autre vie est floue et ce flou rappelle clairement que tout au long de notre vie, d’autres êtres nous entourent et méritent notre considération. La terre exige du respect et le territoire est intemporel. Observer des paysages intouchés, loin du grondement incessant des lieux colonisés, est un cadeau. Être plongé dans cet univers éveille à la vie dans l’harmonie.

La baie Gargantua, au nord de la baie Mica

De premiers colonisateurs se sont installés dans la région entre 1621 et 1623, quand Étienne Brûlé explorait les Grands Lacs sous les ordres de Samuel de Champlain. Les Français ont tenté de se faire le plus d’alliés possible pour renforcer le commerce et créer un monopole qui s’étendrait le plus loin possible dans le continent, à partir de Montréal vers l’ouest. Toutefois, à cause de leurs relations avec les Wendats et les Algonquins, les Français ont rencontré des embûches avec une famille : la Confédération de Haudenosaunis (composée des Sénécas, Cayugas, Onondagas, Oneidas et Mohawks à l’époque). Les Haudenosaunis étaient alliés avec les Hollandais, puis les Anglais.

Gravure inspirée d’un dessin fait par Champlain lors de son voyage de 1609, illustrant une bataille entre des tribus iroquoises et algonquines, près du lac Champlain. (Image en provenance de Wikimedia Commons)

Lors des guerres franco-iroquoises du 17e siècle, les Haudenosaunis ont mené des campagnes fructueuses contre les peuples wendat, algonquin, érié, pétun et neutres, ce qui les a repoussés aux portes du territoire des Anishinaabe, à la pointe Iroquois. Selon des récits oraux, le conflit s’est étendu au nord jusqu’à Echo Bay, où l’on a retrouvé des pointes de flèche des Haudenosaunis. À cette époque, les Haudenosaunis se sont dispersés et les Anishinaabe les ont rapidement repoussés vers leurs terres d’origine. Les conflits qui ont suivi ont encore repoussé les Haudenosaunis jusqu’à la rivière Grand, dans le Sud ontarien, et une nouvelle frontière a été tracée alors que les Mississaugas de New Credit ont établi leur communauté. En a résulté un traité entre deux familles, connu sous le nom de la ceinture wampum qui fait référence au concept du «bol à une seule cuillère». Cette ceinture wampum a rétabli la paix entre les familles et un accord de partage des ressources sur les territoires communs.

La ceinture wampum «Dish with One Spoon» lors d’un rassemblement à Kahnawa:ke.

Au 19e siècle, le paysage géopolitique a changé de façon draconienne. Les colonies françaises ont été circonscrites par les forces anglaises et le nationalisme américain a engendré une révolution contre l’Angleterre. La Guerre de 1812 a tracé une frontière nette entre les États-Unis, au sud, et l’Amérique du Nord britannique, au nord. Toutefois, la façon qu’avaient les colonisateurs d’utiliser les terres allait à l’encontre de la vision du monde autochtone et s’opposait directement à leur souveraineté comme prévu par la Proclamation royale de 1763. Alors que les leaders autochtones tentaient de négocier la prise de contrôle sur les projets d’extraction de ressources, ou du moins, des compensations pour les projets exploités dans leurs territoires, la tension montait.

Ces tensions ont mené à l’incident de la baie Mica, en 1849. La Quebec Mining Company s’était installée sur les rives du lac Supérieur, juste au sud de l’actuel parc provincial du Lac Supérieur, pour extraire du cuivre. Le cuivre joue un rôle prédominant dans l’histoire Anishinaabe, dans les cérémonies et le quotidien du peuple. Les appels à cesser les activités étant accueillis avec une indifférence éhontée, un groupe d’Ojibwés et de Métis s'est organisé pour y mettre un terme.

Le chef Shingwauk. Image : avec l’autorisation de Algoma University/Wikimedia Commons

Le groupe était mené par les chefs Nebenagoching, Cassaquadung et Shingwaukonse. Ils se sont dirigés vers la mine, armés de carabines, de couteaux et d’un canon. À leur arrivée, ils ont tiré un coup de canon au-dessus de la mine. Craignant une attaque, les ouvriers en sont rapidement sortis. Le groupe a occupé la mine tout l’hiver, jusqu’à ce qu’il se rende à la brigade des fusiliers de Toronto. Les personnes arrêtées, chefs inclus, ont été conduites à Toronto avant d’être relâchées. On m’a dit que le canon qui a été utilisé a été jeté dans les eaux de la baie Mica et y reposerait toujours. Le Traité Robinson-Huron de 1850 est le résultat direct de l’incident de Mica Bay.

L’Université Algoma était autrefois un pensionnat : le Shingwauk Residential School (Photo : Fungus Guy)

À Sault-Sainte-Marie se trouve un ancien pensionnat, le Shingwauk Residential School, qui a ouvert ses portes en 1874. Le chef Shingwauk espérait que cet endroit soit un lieu d’apprentissage pour les siens, qui conserve sa souveraineté traditionnelle et assure l’éducation des colons. L’Université Algoma University occupe présentement ce lieu, mais collabore avec l’organisme Children of Shingwauk Alumni Association et le Shingwauk Residential Schools Centre afin que la vision du chef Shingwauk devienne réalité.

L’île Whitefish, vue d’un canot.

Entre la frontière de Sault-Sainte-Marie, Ontario, et Sault Ste. Marie, Michigan, s’élève l’île Whitefish. L’île a été habitée par le peuple Anishinaabe pendant plus de 2000 ans. L’île Whitefish a été expropriée par le Canada de 1899 à 1998 au profit de compagnies ferroviaires. Pendant l’expropriation, la communauté de l’île a été déplacée vers le nord, à Gros Cap, en 1905, et leurs cimetières traditionnels y ont aussi été déplacés. La Première Nation Batchewana n’a jamais oublié ce déplacement et a entrepris des procédures judiciaires pour regagner son île. Les négociations ont été vaines. Puis, le chef héréditaire Edward Sayers a occupé l’île, de 1989 à 1998. La bataille légale continue et l’occupation de l’île pendant 9 ans ont mené au retour du territoire à la juridiction de Batchewana en 1998. L’île abrite un écosystème riche en plantes médicinales et en faune.

Sault Ste. Marie Indian Friendship Centre (Photo : Hans-Jürgen Hübner)

Au centre-ville de Sault-Sainte-Marie, on retrouve l’Indian Friendship Centre, un lieu de rassemblement des familles autochtones de la ville. Le centre a été fondé en 1972, et demeure une nécessité pour la collectivité. Les membres des communautés autochtones et de colonisateurs comptent sur ce centre qui offre l’accès à des services d’éducation, des ressources culturelles et des services essentiels. J’y ai travaillé, ici et là, depuis que j’ai 17 ans, et ça a toujours été pour moi comme un second chez-moi. L’ambiance est toujours chaleureuse, et tout nouveau visage est accueilli avec joie.

Pendant votre séjour, assurez-vous de visiter quelques entreprises qui appartiennent à des Autochtones. Pour un bon burger classique, visitez Stackburger, où les frites sont coupées tous les matins. Aussi, au Family Tree, à Garden River First Nation, on vend des remèdes, des peaux et du matériel d’artisanat.

Faut-il le dire, la région de Baawaating est une destination riche en histoire, pleine de gens accueillants dotés d’un grand sens de la collectivité. Je suis fier de dire qu’il s’agit de chez moi et d’y élever ma famille. Comprendre l’histoire du territoire, c’est ce qui m’a fait tomber en amour avec Algoma. Ces lieux remontent le moral. Vous serez heureux de les avoir visités!

À propos de Spencer Rice

Spencer Rice is Kanien’kehá:ka from Kahnawá:ke. He is passionate about the creation of health, happiness, and prosperity for families and communities. His passion, struggles, and privileges have allowed him to work with children and youth as a program coordinator, civil servant, educator, grant writer, and community developer. Now, with a family of his own, he centres his work on Indigenous sovereignty, sustainable industries, and regional economics through differing cosmological, ontological, and epistemological lenses. He’s currently on parental leave developing a series of colonial history animations, starting projects for creating new wealth, redefining philanthropy, and building a strong family.

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