Le bistro sauvage du chasseur gourmet
Le meilleur steak-frite au monde ne se retrouve pas dans un bistro à Paris. Le meilleur coq au vin non plus. La meilleure tourtière n’est pas faite de porc et, si tu cherches une aventure gastronomique, ce n’est pas à New York qu’il faut te rendre. Non. Pour le gourmet carnivore, pour ceux qui aiment une viande riche qui exprime profondément son terroir, il faut se rendre dans la forêt. Et, mieux encore, dans les forêts du nord de l’Ontario.
Avec ses milliers d’hectares de forêts sauvages, le nord de l’Ontario est et a toujours été le paradis du chasseur. Mais bien que tous les chasseurs ont un amour pour la nature, ce ne sont pas tous les chasseurs qui ont le plat final en tête lorsqu’ils traquent un animal. On pense au panache, peut-être, ou à la petite bière froide qui nous attend au camp. Mais trop souvent la viande est accessoire à la chasse, un joli boni. Pour moi, c’est le contraire. Je chasse pour manger. Plus spécifiquement, je chasse pour bien manger.
Il y a d’abord une question de qualité. Par exemple, la viande biologique et élevée en pâturage est très à la mode aujourd’hui, et ce pour de très bonnes raisons. Sachez que la viande issue d’animaux sauvages est toujours biologique et est toujours élevée dans un pâturage sans frontières.
Il y a aussi une question de goût. On est d’accord pour dire que la viande d’élevage est souvent fade, sans véritable goût à moins d’y ajouter des poignées de sel et des litres de sauce. La viande sauvage n’a pas besoin d’aide pour être goûteuse. Certains pourraient dire qu’elle a un goût sauvage qu’ils n’apprécient pas mais moi, je vous dis que ces gens se trompent. Ce n’est pas un goût sauvage. C’est ce que goûte la vraie viande. Si tu ne l’aimes pas c’est que, dans le fond, tu n’aimes pas le goût de la viande. Et si tu aimes le goût de la viande et que tu veux être un chasseur gourmet, tu dois t’assurer de bien maîtriser les techniques appropriées pour la récolte, la boucherie et, finalement, la cuisson.
Étape 1 : la récolte
Nous sommes ce que nous mangeons. Dans le sud, les animaux sauvages comme les animaux d’élevage s’alimentent du maïs et du soja qui recouvrent la quasi-totalité du territoire qui n’est pas recouvert d’asphalte. Par conséquent, la viande n’est pas particulièrement intéressante.
Les animaux sauvages du nord de l’Ontario s’alimentent la plupart du temps de nourriture sauvage et variée. Ceci fait en sorte qu’un ours noir de la région de Sudbury qui se nourrit de bleuets sauvages ou un orignal qui bouffe dans les étangs boréaux auront un goût unique et délicieux. Le chasseur gourmet doit simplement s’assurer de ne pas récolter d’animaux qui auraient pu se nourrir dans un dépotoir.
Lorsque l’animal est abattu, la prochaine préoccupation est d’assurer que la viande ne se gâche pas. Ceci veut donc dire qu’il faut refroidir la carcasse le plus rapidement possible en éviscérant sur le champ (sans laisser derrière les abats, bien sûr).
Ensuite, surtout pour le gros gibier mais aussi pour les oiseaux non migrateurs, nous laissons pendre la carcasse quelques jours à une température de 10 °C à 15 °C afin de laisser la viande s’attendrir. Le phénomène chimique qui se passe n’est pas particulièrement appétissant mais le résultat est une viande plus tendre et savoureuse.
Étape 2 : la boucherie
Tu connais le genre d’affiches chez le boucher, celles qui indiquent les diverses coupes de chaque animal? Le même genre de schéma devrait être utilisé pour la boucherie d’animaux sauvages, car un muscle qui vient de la cuisse arrière n’a pas la même texture qu’un muscle qui vient, disons, du cou. À la base, un muscle provenant d’une place qui aurait beaucoup travaillé sera plus coriace qu’un muscle comme la longe qui n’a pas beaucoup travaillé. Et comme les animaux sauvages sont majoritairement plus âgés qu’un animal d’élevage et ont beaucoup plus bougé que ceux-ci, leur viande sera forcément plus coriace. Ce n’est pas mauvais. Il faut simplement savoir bien la préparer.
Étape 3 : la cuisson
T’as maintenant plein de morceaux avec lesquels te régaler pendant les longs mois entre les saisons de chasse. Bien sûr, les animaux ne sont pas tous pareils.
Dans le gros gibier, j’ai un penchant pour la viande d’orignal mais il faut dire que, comme la viande de chevreuil, c’est très maigre. L’ours noir, par contre, c’est le contraire. Les premiers colons, qui essayaient d’expliquer la faune canadienne à leurs amis européens, disaient que l’ours noir avait le goût du bœuf avec le gras du cochon. C’est tout à fait vrai!
Finalement, dans le petit gibier, nous avons des espèces qui sont très comparables dans leur viande et leur cuisson à leurs compères domestiques. Le lièvre, alors, ressemble beaucoup au lapin, la gélinotte huppée à la poule, l’outarde à l’oie et le canard au canard. C’est bien fait quand même, non?
Après tout ce travail, tu te retrouves avec plein de morceaux de viande prêts à cuire. T’as maintenant l’occasion de vivre une aventure gastronomique! Voici quelques-unes de mes propositions.
Coupes tendres de gros gibiers
Un bon steak ou un bon rôti n’a rien de besoin de plus qu’une pincée de sel et une touche de poivre. Ceci étant dit, il y a des façons de faire ça avec de la classe. Tu peux faire un steak-frite avec une sauce au vin, des côtelettes poêlées au beurre, à l’ail et au romarin accompagnées de lentilles cuites avec beaucoup de sirop d’érable et de carottes ou encore une côte rôtie avec légumes racines et une sauce au raifort.
Coupes coriaces de gros gibiers
Il y a deux façons principales pour bien cuisiner des coupes coriaces. Pour les steaks, sort ton attendrisseur à viande — ce genre de marteau avec des pics — et mets-toi à marteler. Le cœur, en passant, fonctionne très bien dans ces recettes. Je vous propose du jägerschnitzel avec sauce aux champignons ou des roulés d’escalopes farcies de gruyère suisse.
Pour les pièces ou les cubes coriaces, une longue cuisson à feu doux rendra tout très tendre. Au lieu du bœuf dans ton bœuf bourguignon, n’hésite pas à utiliser de l’ours ou de l’orignal. Pour les jarrets, assure-toi de les couper à l’italienne pour faire de l’osso buco. Un bon pot-au-feu, accompagné de moutarde et de cornichons, se fait tout aussi bien avec du chevreuil. Pour la langue, pourquoi pas la transformer en smoked meat?
Viande hachée
Tout ce qui ne pouvait pas être un steak ou un rôti est habituellement transformé en viande hachée. Tu peux l’utiliser comme de la viande hachée de bœuf mais pourquoi pas être plus créatif. Une tourtière à l’ours c’est délicieux. Tu peux même rendre le gras et l’utiliser dans la croûte! Il y a les boulettes, aussi, bien sûr. Pour rendre ça gourmet je te propose des boulettes à l’estragon et au piment d’Espelette bien rôties et accompagnées de sauce tomate et de gnocchis.
Os
Une soupe à l’oignon préparée avec un bouillon de gibier est mille fois plus intéressante! Et comme t’as ta main sur des os, tu te dois de faire des os à moelle avec du gros sel, des toasts et des cornichons.
Viandes de petit gibier
La perdrix mérite d’être bien rôtie à la St-Hubert ou de se faire préparer en coq au vin ou en fricot, un potage acadien assaisonné à la sarriette. Un lapin à la moutarde se fait très bien avec du lièvre. Un canard aux pruneaux c’est délicieux ou, si t’es très patient, tu peux faire du confit. Au lieu du bœuf dans ton beef Wellington, pourquoi pas utiliser une poitrine d’outarde? Petite astuce : pour que ces viandes ne s’assèchent pas, il est bénéfique de les faire mariner dans une saumure quelques heures avant la cuisson.
Je vous lève mon verre chers chasseurs gourmets. Soyez créatifs! Soyez aventureux! Une fois que vous aurez maîtrisé la façon de bien cuire la viande sauvage, il n’y a plus rien pour vous arrêter. Et si jamais vous vous retrouvez avec trop de viande sauvage, surtout si elle a été récoltée dans les forêts du nord de l’Ontario, n’hésitez pas à me faire signe.
Photos de Machine Gum Productions prises lors du tournage de la série Frères, fusils et festins diffusée sur Unis TV