Vanlife au lac Supérieur
Je vois une pancarte qui m’annonce une ville : Marathon. Dans ma dernière halte, un voyageur adepte de la vanlife m’a conseillé de m’y rendre. Apparemment, il y a un petit coin de paradis qui vaut la peine d’un détour de la route 17.
Pourquoi pas? Je dois trouver un endroit pour dormir et il semble que cet endroit accepte le camping. Je traverse donc la petite ville. Je suis amusée et émerveillée par les petites maisons qui défilent. Puis la route nous sort de la ville. Plus qu’une centaine de mètres avant d’atteindre le parc, d’après mon GPS.
La ville de Marathon est maintenant derrière. Face à moi se trouve Pebble Beach, même si, pour le moment, je ne peux voir qu’une étendue de gazon. Un stationnement rustique fait face au lac Supérieur, le dernier des Grands Lacs.
Je me stationne à reculons pour que mon lit fasse face à l’eau, le ciel, et le soleil qui termine sa course à l’ouest.
J’ai vu la mer, pourtant, je n’ai pas été soufflée comme je le suis face à cette étendue d’eau. D’un bleu azur qui disparaît à l’horizon, je ne vois qu’une péninsule à l’ouest. Je sais que des côtes semblables à celle où je me trouve se cachent derrière, là-bas au loin, mais l’illusion de l’infini demeure.
Quel beau mirage que m’offre cette vue!
Le vent souffle, elle gonfle mes habits d’un sentiment de puissance et de déférence pour la vue. Je suis à l’intérieur du continent et j’ai l’impression d’être au bord du monde. Le roulement des vagues me parvient, c’est une respiration qui m’emplit de paix et d’une forte volonté.
Je sens les odeurs rocailleuses, l’eau douce et un air frais d’épinettes; néanmoins, la vue aurait pu appartenir à ces panoramas d’iode de la mer, du vent lourd et chaud des pays du sud. J’aime cette fraîcheur, cette véritable fraîcheur sans artifice, le plus beau climatiseur pour moi qui vont dormir dans ma van.
lI est clair que je dormirai la valise ouverte ce soir; autant profiter des puissants vents qui chassent tout insecte qui pourrait avoir la mauvaise idée de gâcher la soirée, voire ma nuit de sommeil.
Je décide de m’avancer pour voir ce que me cache la berge, bien plus basse. La descente est raide, et à contrebas se trouve une plage de galets géants. Il me faudrait mes deux mains pour soulever la majorité d’entre eux, si toutefois j’étais capable d’en soulever un. Je décide de descendre le petit chemin sinueux et abrupt qui mène à l’eau azuréenne. Le sol est instable sous mes pieds et je ne peux qu’être reconnaissante de porter ses bottines de marches. Je me penche pour toucher les pierres érodées par les vagues du lac. Celles-ci sont assourdissantes, elles me coupent du monde et j’ai l’impression d’être dans une bulle hors du temps.
L’eau froide du lac m’effleure, et elle m’attire. Elle n’a pas l’odeur de poisson mort ni de sel agrémenté d’une humidité étouffante, non. Je ne sens que l’odeur d’une source d’eau immense, minéralisée comme celle d’une rivière, d’une cascade qui s’agite et s’élance tel un étalon. Je suis petite face à cette étendue infinie, et malgré la température moyenne de 4° du lac, l’envie de m’y émerger m’étreint, mais je me retiens. Il est préférable que j’attende au lendemain. La température chaude du mois d’août sera une belle excuse pour braver la température du lac. Toutefois, j’y risque ma main. La fraîcheur de l’eau me surprend, mais l’eau est si douce. Elle n’est pas gorgée de sel comme celle de la mer, elle n’est pas trouble; elle est aussi limpide que du verre. Je peux voir les immenses galets qui jalonnent la place, s’enfonçant dans le lac. Un instant, j’ai l’illusion que les remous m’indiquent que la marée commence.
Le signal pour remonter. Je reprends le chemin du retour, même si j’ai davantage l’impression de faire de l’escalade amateur qu’une montée. La terre est froide et à peine humide sous mes doigts, mais je trouve une racine qui me ramène sur l’étendue gazonnée. Je fais volte-face et je vois le soleil qui se couche. J’ai l’espoir qu’il terminera sa course avant la péninsule que j’ai pu voir plutôt, mais notre immense étoile cache sa pudeur lumineuse écarlate derrière ce bout de terre.
Un sentiment d’insatisfaction m’étreint, mais déjà, je sais que demain, j’irais courir après ce coucher de soleil. Cette péninsule doit certainement cacher un point d’observation que je compte conquérir pour lui dérober un instant d’éternité.
Oui, j’allais mémoriser ce qu’on m’offre pour ce soir, et demain, j’irais conquérir celle qui cache la fin de la course du soleil.
Autrefois, des peuples ont vécu des générations sur ces côtes et je ne peux que les comprendre. J’ai également envie de respirer, manger et vivre avec cette vue.