Les fameuses bottes de Dubreuilville

Ce ne sont pas des pieds de yéti. Ce sont les «Dubreuil boots».

« Dans le temps, on était les seuls dans le nord de l’Ontario à vendre ces bottes-là et tout le monde le savait », raconte Alain Lacroix, un commerçant de Dubreuilville, un village qui se trouve quelque part entre la forêt boréale et le lac Supérieur, dans le nord de l’Ontario. « On les appelait les Dubreuil boots, mais vraiment, ce sont des Nakiuk », précise-t-il.

Sachez qu'à Dubreuilville, tout le monde ne jure que par ces bottes depuis des décennies, et tout le Nord ontarien sait que le bottes de Dubreuilville, ce sont les bottes d'hiver par excellence. Après tout, lorsqu'on a les pieds au chaud, tout va.

Mais comment les fameuses Nakiuk sont-elles frayé un chemin jusque dans la forêt boréale?

Le monde avant Internet

Après l’ouverture d'une scierie par les quatre frères Dubreuil en pleine forêt, en 1961, le nouveau village de Dubreuilville grandissait à vue d’oeil. Mais pour le propriétaire de la seule boutique du village, Yvon Lacroix, un besoin n’était pas encore comblé : le marchand souhaitait rendre l’hiver plus agréable pour ceux qui devaient travailler dehors et ceux qui souhaitaient profiter du plein air. Rappelez-vous que dans le Nord, hiver rime avec randonnées en raquettes et en motoneige, parties de sucre et pêche sur glace.

Alain Lacroix se souvient clairement de la quête de son père pour trouver ces fameuses bottes à la fois chaudes et légères et qui sèchent vite. « Ç’a pris du temps, il a travaillé fort. Il n’y avait pas d’internet…  Il a fait des téléphones. »

Après des recherches intenses, Yvon Lacroix a fini par trouver des bottes fabriquées par une entreprise beauceronne qui s'appelle aujourd'hui Shola et qui est toujours la propriété de Jacques Verreault. « Je lui ai dit qu'il fallait se rencontrer s'il voulait la botte », inspirée par un modèle créé en France, et qui servait à l'après-ski depuis une cinquantaine d'années raconte aujourd’hui M. Verreault. « Je suis allé à Dubreuilville et on a fait le tour du produit. » C’était vendu.

« À l'époque, on voyait ça, continue M. Verreault : les gens partaient avec leurs produits et faisaient des tournées. » Et comme Jacques Verreault, Yvon Lacroix partait à son tour avec une remorque pour vendre les « bottes de Dubreuilville » à Timmins, Wawa et Hearst.

L'auteure de ces lignes est aussi une propriétaire de bottes de Dubreuilville. 

Une botte bien taillée pour les gens du Nord

Alain Lacroix raconte qu’au fil du temps, son père et M. Verreault sont devenus de bons amis. Le fournisseur lui rendait visite tous les ans. « Yvon m'a fait visiter la ville en détail : les activités, le moulin et il me présentait à tout le monde », évoque M. Verreault. Il a donc pu être témoin de ce véritable phénomène des bottes de Dubreuil.

« Les gens ici savent que si tu ne veux pas geler des pieds, les Nakiuk sont les meilleures bottes qu’il y a », lance le fils Lacroix, qui a repris l'entreprise familiale. « Tu vas à la pêche, dans la neige, à l’école, à l’aréna... Avec ça dans les pieds, le monde sort. Même si tes pieds sont trempes, tu tords tes bas et tes liners (la doublure). Et si tu es pris dans le bois... il n’y a rien de plus chaud », promet-il.

Le secret de la botte repose notamment dans sa célèbre enveloppe de fourrure. La Nakiuk originale est faite de fourrure de vache, mais elle est aussi disponible en fourrure de loup marin, de coyote ou de castor. « Mais à Dubreuilville, on a l’exclusivité des bottes de vaches. [Les autres] sont bonnes aussi, mais la fourrure de vache est plus durable et plus chaude», confirme Alain Lacroix.

Pour ce qui est de l’entretien, la neige fait tout le travail – il suffit de faire sécher la partie intérieure, ce que le fabricant appelle le chausson. Lorsque ce dernier est trop usé, on le remplace et c’est comme enfiler une toute nouvelle paire de grosses pantoufles. En plus, ces bottes durent une éternité : de 10 à 15 ans, si on remplace le chausson intérieur.

Combien de parties de pêche ces bottes ont-elle vu? Photo : Darcy Pilon

Des bottes pas comme les autres

Les compétiteurs ont tenté de reproduire la Nakiuk. « Personne d'autre ne sait comment la faire : c'est très complexe et long - c'est un produit artisanal, explique M. Verreault. «On ne se sert pas des mêmes matières premières. Par exemple, pour le castor, mais tu peux avoir deux qualités de fourrure pour la même bête. »

Alain Lacroix appuie les dires de ce dernier: «Il y a beaucoup de compagnies qui essaient de les copier, mais elles ne sont pas aussi chaudes. Les gens en achètent et ils reviennent au magasin et disent: 'je pensais que c’était les bonnes bottes de Dubreuilville!' et ils repartent avec nos Nakiuk en fourrure de vache», relate-t-il.  

Du fait, la botte originale de fourrure de vache était naturellement tachetée, car on utilisait la peau noire et blanche de vaches normandes, élevées sous la pluie de Normandie, en France. Ce n'est que plus tard que les producteurs ont commencé à les teindre en brun ou en noir. C'est alors qu'elles sont devenues très populaires. 

Dans le Nord ontarien, les bottes circulent aujourd'hui bien au-delà de Dubreuilville. La fille d'Yvon Lacroix, Mélanie, vend à son tour les produits Nakiuk à Sudbury. Au cours des dernières années, les bottes sont également plus en demande à Sault-Ste-Marie. Selon Jacques Verreault, elles sont particulièrement populaires auprès des Américains de passage. Toronto démontre également de l'intérêt et on pourrait y retrouver prochainement les produits Shola. « En Ontario, les gens font faire beaucoup de bottes sur mesure. Ils nous font patenter des affaires impossibles, on leur fait et ils sont heureux», se réjouit-il.

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En janvier 2021, Priscilla Pilon signait un reportage sur les bottes de Dubreuilville par ICI Nord de l’Ontario. Pour le visionner, c’est ici!

À propos de Priscilla Pilon

Journaliste indépendante et coordonnatrice des communications et du développement au Théâtre du Nouvel-Ontario, Priscilla Pilon a longtemps été une globetrotteuse qui s'est toujours gardée bien ancrée dans la francophonie nord-ontarienne, soit dans ses racines. Passionnée de voyages, de nature et de photographie, elle adore explorer et partager ses aventures d’ici et d’ailleurs. Côté artistique, elle est l'esprit derrière Macramoé du Nord.

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