Saint Firmin Monestime : un Haïtien à Mattawa
Août 1951. Deux médecins, Gaston Lamontagne et Saint Firmin Monestime, sont en route vers Timmins où ils ont trouvé du travail. Après quelques heures de route, ils quittent la longue route 17 pour suivre la rue principale, à Mattawa. Devant le tout nouveau cinéma Champlain, le casse-croûte Chez François les attend.
À peine ont-ils franchi le pas de la porte, le gérant du restaurant dévisage le médecin originaire d’Haïti. Va-t-il se faire mettre à la porte? Le malaise est de courte durée : Armand Tremblay l’a reconnu. Devant lui se tient le chirurgien qui l’a opéré quelques mois plus tôt, à Ottawa!
Le lendemain matin, Firmin Monestime se réveille après une journée de réjouissances. En quelques heures, les gens de Mattawa le convainquent de rester, au moins un peu, pour remplacer l’un des médecins de la communauté récemment décédé. Dr Monestime accepte de dépanner, le temps que Mattawa se trouve un médecin permanent.
C’est par cette anecdote que Doug Mackey entame la biographie de Monestime dans Where Rivers Meet (Past Forward, 2008). Le récit représente bien celui qui deviendra le premier maire noir élu au Canada.
Son rire caractéristique et contagieux, sa joie de vivre, sa confiance, son talent de conteur, son grand sens de la justice et son apparence toujours soignée ont laissé une empreinte indélébile sur la communauté au confluent des rivières Mattawa et des Outaouais.
D’Haïti au Canada
Saint Firmin Monestime naît en décembre 1909 au Cap-Haïtien, la deuxième ville d’Haïti, à 200 km au nord de Port-au-Prince, sur la côte atlantique.
Intelligent, travaillant, ambitieux, il aura le privilège d’étudier à l’École de Médecine de l’Université d’État d’Haïti (aux côtés de François Duvalier), puis deviendra médecin d’État, œuvrant partout sur l’île d’Hispaniola, c’est-à-dire en Haïti et en République dominicaine.
En octobre 1937, il est le témoin impuissant du massacre du Persil qui fait plus de 20 000 victimes chez les Haïtiens (les nombres changent selon la source) qui travaillent dans les plantations de la République dominicaine. Seul médecin sur place, il doit accomplir un travail colossal pour sauver ses compatriotes survivants.
Après ce chapitre lugubre, le Dr Monestime s’installe à Port-au-Prince où il est directeur au ministère de la Médecine rurale. Dans des conférences qui donneront quatre livres, il décrie les conditions déplorables dans lesquelles vivent les Haïtiens en zone rurale. Il finit par fuir le pays (et le régime) en direction du Canada.
En 1945, il arrive au Québec avec un petit groupe de professionnels haïtiens (c’est avant la grande vague de migration de milliers d’Haïtiens vers le Québec). Mais pour pratiquer la médecine au Canada, Saint Firmin Monestime doit retourner sur les bancs d’école. Il refuse de rentrer à Haïti (où il a deux enfants, Daniel, aujourd’hui au Canada, et Marie-Eddie, aux États-Unis); il devient plutôt l’un des premiers médecins haïtiens actifs au Canada.
Mattawa : «C’est le vent qui m’a mené ici.»
Lorsqu’il prend la route vers le Nord, le bon vivant vient tout juste de rencontrer une jeune réfugiée d’origine russe, Zinaida Petschersky, arrivée en 1949 au Canada avec sa mère Valentina. En préférant Mattawa à Timmins, il serait beaucoup plus près de l’élue de son cœur, établie à Ottawa.
Le médecin trouve ses aises à Mattawa, un beau village de 3000 habitants. «Regardez le paysage, c’est comme être toujours en vacances», dira-t-il. Il finit par ouvrir un bureau et pratiquer à l’hôpital.
Firmin et Zina se marient et s’établissent dans le village sur les rives de la rivière des Outaouais. La famille s’agrandit dès 1953 avec la naissance de Valentina (Vala). Suivent Feodor, Yura et Sasha. Les enfants parlent le russe à la maison et fréquentent l’école française.
Le premier maire noir élu
Saint Firmin Monestime devient citoyen canadien en 1957 à North Bay. Pendant la cérémonie, il dit au juge qu’il ne veut pas être considéré comme un citoyen de seconde classe. C’est sur cette trame, et en marge de l’adoption de la Déclaration canadienne des droits de John Diefenbaker, que le médecin se lance dans une carrière concomitante : la politique.
Soucieux de défendre les droits des plus vulnérables et de faire briller sa ville adoptive, il se présente au conseil municipal en 1962. En novembre 1963, il devient le premier maire noir élu au Canada, possiblement en Amérique du Nord. (Selon Wikipédia, quelques Noirs ont été élus maires aux États-Unis avant 1890 avant l’élection d’un nouveau maire noir élu en 1964, George Carroll, à Richmond en Californie.)
Parmi ses intentions et ses réalisations, relevons l’ouverture d’une bibliothèque-musée (qui ne verra pas le jour), la réfection des routes et la création de logements sociaux. Son projet le plus cher est la mise sur pied d’un centre de soins de longue durée.
Firmin Monestime est réélu d’année en année. Un cancer de la prostate forcera une pause en 1966-1967, à l’issue de laquelle il considérera se présenter comme député fédéral sous la bannière conservatrice. Il préférera retourner à la politique locale. Il reprendra un poste de conseiller en 1968-1969, puis de maire de 1970 à 1977.
Le racisme dans les années 1960
Le Dr Monestime a-t-il souffert de racisme? À Mattawa, quelques personnes auraient refusé de se faire traiter par lui à cause de la couleur de sa peau. «Pas les plus intelligentes», avait-il commenté. Puis, dans un article publié par le North Bay Nugget en 1964-1965, Monestime précise que les pourvoiries ne sont pas enclines à accueillir les Noirs par souci de plaire à une abondante clientèle américaine.
Les élections de 1969 seront particulièrement intenses. Pendant la campagne, un groupe a écrit partout où il le pouvait : «Do not vote Black.» Il n’avait jamais vécu quoi que ce soit de la sorte à Mattawa. Les tensions entourant les droits civiques sont alors (et encore) vives. Martin Luther King, avec son célèbre discours «I Have a Dream», avait été assasiné l’année précédente. En 1955, Rosa Parks avait été arrêtée parce qu’elle avait refusé de céder son siège d’autobus à un Blanc, en Alabama, aux États-Unis. La décennie précédente, en Nouvelle-Écosse, Viola Desmond avait été aussi arrêtée dans une salle de cinéma après s’être assise dans la section réservée aux Blancs.
The Monestime Way
Un cancer du pancréas emporte Saint Firmin Monestime, le 27 octobre 1977 à l’hôpital de Mattawa, où il avait travaillé pendant 25 ans. Le jeudi des funérailles, tous les commerces et les écoles de Mattawa ferment leurs portes en mémoire du maire.
De son vivant, on lui avait déjà rendu hommage. En 1974, le gouvernement provincial donne son nom à un canton du Nord. C’est ainsi que naît le Monestime Township, à la limite est du district d’Algoma, au nord de Massey et de l’île Manitoulin. Dans «son» canton, il y a le Russian Lake et «lac aux Sables» — en français! —, qui se jette dans la rivière aux Sables, la rivière Spanish et le lac Huron.
Aujourd’hui, la rue principale de Mattawa porte le nom informel de «Monestime Way». L’Université d’Ottawa a créé la bourse Firmin-Monestime en 2015.
Mais surtout, la maison de soins de longue durée Algonquin, ouverte en octobre 1976 grâce au travail acharné du Dr Monestime, tient encore fièrement. Dès 1964, il a œuvré d’arrache-pied pour que les aînés de sa communauté puissent recevoir des soins dans leur village. Le projet d’un million de dollars est devenu réalité quelques mois avant le décès du maire-médecin. Aujourd’hui, le foyer Algonquin se trouve à côté de l’hôpital, reconstruit en 2019. La famille Monestime a donné une partie du terrain où se situait la première Maison des aînés Algonquin pour qu’on y construise 12 logements sociaux.
Vala Monestime a dirigé la Maison pour aînés Algonquin jusqu’en 2013. Elle veille toujours à la mémoire de son père et gère la page Facebook Dr. Saint Firmin Monestime.
Pour en savoir plus sur Saint Firmin Monestime
Au Musée de Mattawa, une partie de l’exposition permanente porte sur Firmin Monestime. On y trouve des photos, des coupures de journaux, des objets qui lui ont appartenu.
En février 2019 et 2020, TFO et Radio-Canada ont produit des reportages sur le personnage pour le mois de l’histoire des Noirs. Le premier permet de rencontrer le maire via des images d’archives et sa fille Vala, qui habite toujours à Mattawa.
En 2008, l’auteur Doug Mackey a consacré un livre à Saint Firmin Monestime, Where Rivers Meet aux éditions Past Forward. Il est disponible au Musée de Mattawa.
Soulignons aussi la mémoire de T. K. Jewell, élu conseiller municipal à Kapuskasing en 1976, et maire de 1981 à 1991, et de Daurene Lewis, la première femme noire élue mairesse, à Annapolis Royal, en Nouvelle-Écosse, en 1984. En Ontario, Bernadette Clement est devenue la première mairesse de Cornwall, en 2018. Elle est aussi la première mairesse noire de l’Ontario. Elle est devenue sénatrice en 2021.